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Entretien : Jo-Anne St. Godard, directrice générale du Conseil du recyclage de l’Ontario

Photo prise par le Toronto Star, thestar.com

Jo-Anne St. Godard joue un rôle essentiel pour favoriser une réduction encore plus importante des déchets en Ontario et ailleurs. À titre de directrice générale du Conseil du recyclage de l’Ontario (CRO) depuis 2004, St. Godard travaille avec les entreprises et l’industrie pour les aider à comprendre et à exploiter les possibilités que présentent leurs obligations environnementales et leur modèle d’affaires, et elle démontre comment les intérêts économiques et environnementaux se rejoignent. Un volet important de ses fonctions au CRO consiste à faciliter l’apprentissage et la collaboration par l’entremise de campagnes et de programmes novateurs – dont un grand nombre (comme le partenariat avec Canadian Geographic pour l’initiative 10 000 Changements) réunissent les secteurs public et privé pour sensibiliser les Canadiens et réduire les déchets plastiques.   

 
À propos des aspects les plus troublants de la pollution plastique

Les répercussions environnementales sont bien connues. Les microplastiques ont envahi notre chaîne alimentaire. Des morceaux de plastique provenant de la terre viennent polluer les cours d’eau et des régions reculées de la planète. Nous avons longtemps sous-estimé les coûts économiques de notre mode de vie gaspilleur où des millions de dollars en matériaux utiles sont simplement jetés. Près de 90 pour cent du plastique au Canada est perdu dans les décharges, ce qui représente 8 milliards de dollars en occasions manquées. Si rien ne change, on prévoit qu’en 2030 ce chiffre dépassera plus de 11 milliards de dollars. Le plus troublant dans notre système actuel est le fait que les entreprises de recyclage continuent à faire concurrence à des solutions d’élimination moins coûteuses et cela limite notre capacité à gérer les déchets plastiques comme une ressource, comme une matière première pour fabriquer de nouveaux produits. Une fois que nous aurons établi les coûts réels que représente l’élimination, et que nous aurons uniformisé les règles du jeu et augmenté la demande de plastique recyclé, le système aura atteint un point d’équilibre et favorisera le recyclage.    

À propos d’un nouveau regard sur les problèmes associés aux déchets plastiques

Le Canada et d’autres pays occidentaux doivent composer avec de nouvelles interdictions et restrictions relatives aux matériaux recyclés imposées par la Chine qui était le plus important marché final de recyclage du plastique au monde. La demande historique de la Chine pour des matériaux recyclés collectés par les secteurs public et privé au Canada a contribué à une pénurie d’investissements continus au pays dans les marchés locaux de recyclage du plastique. En raison de la combinaison de l’élimination peu coûteuse, du manque d’infrastructure et de la trop grande dépendance aux marchés étrangers, le Canada risque de ne plus pouvoir tirer profit du plastique recyclable, car celui-ci sera éliminé. Ce qui m’a surprise c’est de voir à quel point nous sommes mal préparés pour gérer nos propres déchets. Toutefois, je crois qu’il y a là une occasion à saisir, celle de favoriser la croissance de notre industrie nationale de recyclage, et je pense que nous commençons déjà à voir des progrès. De plus, cette situation nous a incités à examiner notre mode de production et de consommation de plastique, des enjeux qui sont vraiment au cœur de la solution.

À propos de ce que le Canada peut améliorer dans la gestion des déchets plastique

Nous devons aller plus loin que nos gestes individuels, comme refuser une paille ou traîner un sac réutilisable, et avoir une visée institutionnelle. Les décisions institutionnelles sont encore prises par des groupes de personnes. Les achats publics (les achats des gouvernements) au Canada sont évalués à 200 milliards de dollars par année, dont 80 pour cent se font à l’échelle des gouvernements locaux (provinciaux et municipaux). Si on ouvre ces marchés publics au secteur privé, les dépenses annuelles en biens et services se rapprocheront des billions de dollars.   

En encourageant et en favorisant la réduction des déchets à l’échelle institutionnelle, nous avons la possibilité immédiate d’accélérer le soutien accordé aux marchés pour réduire le plastique et miser sur des produits plastiques plus durables, comme ceux qui peuvent être réutilisés, réparés, reconstruits ou reconditionnés, ou ceux qui contiennent des matériaux recyclés, ou qui sont facilement recyclables ou compostables en fin de vie.

Nous pouvons favoriser des changements au sein des marchés par l’entremise d’ententes de service fondées sur de nouveaux modèles d’affaires novateurs qui offrent de réelles solutions à nos habitudes de consommation excessive, notamment : changer les relations avec les fournisseurs pour exiger la reprise de produits, et intégrer des spécifications qui minimisent le plastique ou qui imposent des produits conçus pour être facilement recyclables. En créant une demande, l’offre sur le marché suivra. Et cela vient stimuler l’innovation et le changement.

Nous pouvons aussi introduire des normes nationales qui serviraient de catalyseur pour créer des cadres harmonisés, faciliter une collecte cohérente de données et fixer des cibles nationales pour le recyclage des déchets plastiques.

À propos d’améliorations au programme actuel des bacs bleus en ce qui concerne le plastique

Je crois que nous voudrions tous que les producteurs aient la pleine responsabilité de la collecte sélective porte-à-porte et du bac bleu. La responsabilité des plastiques en fin de vie – collecte et traitement – devrait résolument être transférée à ceux qui produisent et vendent le matériau. Ce faisant, ils devront être plus soucieux et prêter une attention accrue quant aux matériaux qu’ils utilisent pour fabriquer et emballer leurs produits. De plus, il faut soulager les gouvernements et les contribuables du fardeau financier qui devrait revenir aux entreprises individuelles et à leurs clients. Lorsque nos impôts paient pour le recyclage, c’est l’équivalent d’une subvention du prix à payer pour faire des affaires. Exiger des entreprises qu’elles paient pour la gestion en fin de vie de leurs emballages, tout comme elles le font pour d’autres coûts, aidera à tout le moins à réduire les coûts, mais aussi, espérons-le, favorisera de meilleures conceptions soucieuses de l’environnement.

À propos des préoccupations des consommateurs sur la pollution plastique

Ce qui préoccupe le plus les gens c’est de se sentir impuissants et d’avoir l’impression qu’ils n’arrivent pas à changer les choses. Ils séparent consciencieusement les produits organiques pour les mettre dans le bac vert, l’emballage dans le bac bleu, les textiles pour la réutilisation, les déchets dangereux pour les lieux de collecte, mais nombre d’études démontrent que la quantité de déchets que nous produisons et que nous perdons à travers l’élimination continue à augmenter. J’encourage les gens à continuer à faire ce qu’ils font et, si le temps le permet, à mobiliser d’autres personnes, particulièrement en tant que consommateurs. Il faut soutenir les entreprises et les organisations qui font un effort conscient pour réduire les déchets et faciliter le recyclage, car ce sont les clients qui, plus que tout, motivent les entreprises.