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Déchets et trésors

Le petit déjeuner est fini, mais il est encore tôt quand le Island Solitude remonte le passage à marée descendante.

Après avoir mouillé l’ancre, les invités de ce voyage en voilier à travers le parc national Gwaii Haanas, en Colombie-Britannique, s’entassent dans des Zodiacs et se dirigent jusqu’à une anse constellée de rochers maintenant incrustés de pouces-pieds. Une fois les embarcations attachées à un arbre, nous nous frayons un chemin à travers un isthme boisé, en rampant sous un chablis hivernal jusqu’à un plateau de buttes de graminées bordé d’une palissade de pin massif. Au-delà des dernières buttes se trouve une plage en demi-lune exposée à la puissance du Pacifique dont la laisse de mer se compose d’une haute empilade de grumes massives. Des pistes de loutres et de cerfs sillonnent le sable noir, des corbeaux et des aigles observent le paysage du haut de leurs tours de pruche; les seules empreintes humaines sont les nôtres, les premières depuis plus d’un an.  

Ce voyage offre la rare occasion d’explorer une nature sauvage et immaculée, comme celle du rivage devant nous. Ces îles isolées au large de la côte nord de la Colombie-Britannique sont difficiles d’accès, nécessitant de recourir à un hydravion ou à un bateau, et nous sommes heureux d’y venir avec la plus vieille entreprise à offrir un tel service, Bluewater Adventures. Toutefois, après avoir admiré des jours durant des paysages archipélagiques, des baleines à bosse percer l’eau et de grands sites culturels du peuple Haïda qui occupe ces terres depuis des millénaires, nous n’avons pas marché jusqu’à la plage Bowles pour allonger notre liste de jalons touristiques. Nous sommes plutôt ici pour redonner ou, pour ainsi dire, nettoyer : brandissant des sacs en jute, nous nous dispersons pour ramasser tout un hiver de déchets rejetés sur le rivage, c’est-à-dire du plastique.

Nous nous rendons bien vite compte que les articles les plus abondants sur cette plage sont des bouteilles de plastique entières, ou brisées, ce qui n’est pas étonnant vu toutes celles qui ont dû traverser le Pacifique au grand complet pour aboutir ici. Parmi la myriade d’autres débris jetés à la mer, il y a des contenants alimentaires, des filets de pêche et de la corde, de la styromousse de tous types, des tampons à récurer, des embouts de plastique de cigare, et même des brosses à dents.   

Notre groupe s’active avec soin, cherche entre les grumes, extirpe des choses enfouies dans le sable, savourant l’occasion de changer les choses. Après une heure, pendant un dernier examen de la laisse de mer, je repère quelque chose de foncièrement différent de ma montagne de fragments de plastique : un flotteur en verre soufflé bleu-vert du Japon, le seul endroit où vit encore cet art. Je retourne au vaisseau Island Solitude portant non seulement mon sac de jute témoignant de mes efforts de nettoyage, mais aussi un trésor apparemment arraché des monceaux de détritus de l’humanité.   

Bluewater adhère aux principes écotouristiques fondamentaux des pratiques à faible impact, et soutient les collectivités locales, fait la promotion de la conservation et transmet aux participants des connaissances pointues sur la faune, les cultures autochtones et l’environnement; voilà la genèse de cette occasion d’apprentissage et de passage à l’action en ce qui concerne le plastique dans les océans, une expérience qui nous inspirerait sous peu à en faire encore plus.  

Quelques jours plus tard, nous mouillons l’ancre dans la vaste baie Luxana avec l’intention d’aller à terre pour une marche paisible sur la plage. Toutefois, avant longtemps, nous nous retrouvons tous encore en train de ramasser du plastique et, deux heures plus tard, nous avons devant nous littéralement une tonne de débris rejetés par la mer, empilés sur les replats de marée; cordes et filets, flotteurs et bouées, contenants d’emballage et plateaux, bouteilles d’eau japonaises et dentifrices russes. Vu la vastitude de la baie, nos efforts ont un effet limité, mais nous sommes néanmoins satisfaits de voir le Zodiac rempli de déchets que nous déposons au poste d’un garde forestier le jour suivant, où d’autres visiteurs ont aussi laissé le fruit de leurs propres initiatives de nettoyage.

Le message à retenir c’est que chaque petit geste compte et que nous pouvons tous en faire plus. Mais pour repenser sa propre relation avec le plastique, il n’est pas nécessaire de se rendre sur une plage isolée — quoique la plage serait bien contente de vous voir —, il ne suffit que de s’engager à réduire sa consommation de plastique dans la vie quotidienne et de nettoyer là où c’est possible. Qui sait, peut-être trouverez-vous un trésor vous aussi.