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Des microplastiques dans les glaces de l’Arctique

Une équipe de chercheurs de l’Université du Rhode Island a découvert des concentrations anormalement élevées de microplastiques dans la couche épaisse de glace de l’Arctique, soulevant des inquiétudes quant à la propagation de la pollution par le plastique même dans les régions les plus reculées de la Terre. 

Dans le cadre d’une expédition de 18 jours à travers le passage du Nord-Ouest le mois dernier, l’équipe a échantillonné des carottes glaciaires faisant plus de deux mètres d’épaisseur dans le détroit de Lancaster, une étendue d’eau entre l’île Devon et l’île de Baffin. Au départ, les chercheurs étaient à la recherche de plancton, mais leur découverte les a alarmés.

« Il était évident qu’il y avait bien plus que de la matière organique dans les carottes glaciaires », dit Brice Loose, professeur agrégé d’océanographie à l’université qui a supervisé l’expédition. « Et ce phénomène touche davantage la glace que l’eau de mer. En cherchant bien, vous pourrez certainement trouver du plastique dans l’eau de mer, mais l’abondance et la concentration du plastique dans la glace nous ont vraiment étonnés. »

Alessandra D’Angelo, étudiante diplômée qui a participé à l’expédition, signale que la quantité de plastique dans la glace, et aussi la taille des morceaux, étaient considérables.

« Le plus surprenant a été de trouver des microbilles de plus de 50 micromètres, ce qui est gros pour nous », dit-elle. « C’est incroyable. »

Les microplastiques sont des plastiques qui font moins de cinq millimètres. D’Angelo signale que les chercheurs ont trouvé des filaments qui faisaient jusqu’à un millimètre de long.

« Nous pensions qu’il serait difficile de distinguer le plastique du plancton, mais c’était très facile, car le plastique a une forme différente, une couleur différente », dit-elle. « Et il y en avait tant. »

Dispersion par le vent ou l’eau

Selon John Nightingale, conseiller principal en science océanique avec One Ocean Expeditions, dont l’installation One Lab à bord du RCGS Resolute recueille des échantillons d’eau pour analyser les microplastiques lors des déplacements du navire, la présence de microplastiques dans les eaux de l’Arctique souligne à quel point les océans de la planète se mélangent.   

« Il faut commencer à voir les océans de la planète comme un seul océan », dit-il. « Si vous attendez suffisamment longtemps, un morceau de microplastique va suivre les courants océaniques et se retrouver partout, y compris en Arctique. »

L’équipe de recherche à l’Université du Rhode Island croit que les carottes glaciaires échantillonnées ont dérivé jusqu’au détroit de Lancaster depuis le centre de l’Arctique au courant de la dernière année – mais les microplastiques viennent probablement de beaucoup plus loin.

Selon Jacob Strock, autre étudiant diplômé qui a participé à l’expédition, le détroit de Lancaster reçoit des eaux qui proviennent de multiples bassins océaniques.

« Dans notre hypothèse principale, nous avançons que [les microplastiques] proviennent probablement de quelque part dans l’océan Pacifique », dit Strock.

Des eaux de l’océan Atlantique se retrouvent aussi dans l’océan Arctique, mais Nightingale explique que la circulation nette d’eau dans l’Arctique canadien se fait d’ouest en est : l’eau pénètre l’Arctique entre l’Alaska et la Russie, et en sort par l’Islande. 

« Le gros du microplastique [dans l’Arctique] se trouve dans les eaux qui proviennent du Pacifique », dit-il. « Quelle est la quantité de microplastique qui s’ajoute dans l’Arctique lui-même? Probablement très peu. »

Selon Loose, le transport atmosphérique pourrait aussi être en cause et le chercheur mentionne à cet effet une autre découverte de microplastique réalisée à peu près au même moment dans la couverture neigeuse du détroit de Fram dans l’Arctique. Cette étude européenne a proposé que ces microplastiques aient pu être transportés par voie aérienne. 

« Cela suggère que certains de ces microplastiques sont suffisamment petits et légers pour être soufflés par des masses d’air atmosphérique et ensuite déposés dans les eaux », dit Loose. « Le même scénario est possible pour le plastique que nous avons découvert dans les carottes glaciaires. »

« Une situation inquiétante »

Selon Nightingale, l’étendue de la pollution par le plastique est particulièrement inquiétante pour le plancton qui vit près de la surface dans les eaux arctiques et pour les espèces migratoires qui empruntent le passage du Nord-Ouest.

« [Les microplastiques] ne flottent pas à la surface », dit-il. « Ils flottent quelque part dans la colonne d’eau, habituellement dans les trois ou quatre premiers mètres. »  

Il a été démontré que le plancton ingère le microplastique et que celui-ci se bioaccumule ensuite dans les baleines et autres prédateurs vers le haut de la chaîne alimentaire – y compris les humains

Nous comprenons encore mal les effets à long terme de ce phénomène, dit Nightingale.

« À quel moment certains de ces [plastiques] traversent-ils leur barrière hématologique ou la nôtre pour commencer à obstruer les reins? », demande-t-il. « C’est troublant et la recherche ne fait que commencer à examiner la question. »

Loose dit que ses étudiants souhaitent maintenant mesurer les types de microplastiques qu’ils ont découverts et mettre au jour leur mécanisme de dégradation dans l’espoir de comprendre l’impact éventuel de ce phénomène sur la région du détroit de Lancaster.

« ll s’agit de matériaux à base de carbone », dit Strock. « Vont-ils se dégrader en gaz à effet de serre? »

D’Angelo souhaite examiner spécifiquement la production de méthane découlant de la dégradation des microplastiques, en soulignant l’effet que peut avoir l’activité humaine menée beaucoup plus au sud sur le Grand Nord.

« Tous les océans sont connectés par un tapis roulant océanique, par des courants », dit-elle. « Si nous faisons quelque chose chez nous, il y aura des répercussions ailleurs. »