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Élastiques en folie

Si vous vous êtes déjà à fouiner le long d’une route ou d’un fossé, dans les abords d’un stationnement ou dans la cour de quelqu’un, ou bien sur le trottoir ou dans un sentier, vous savez ce que ces lieux peuvent révéler sur les habitudes des humains qui les fréquentent. 

Vous savez aussi que ça n’est pas reluisant. 

Pour commencer, pensez aux efforts vraiment impressionnants déployés par certains pour cacher des ordures qui, en toute connaissance de cause, devraient être mises à la poubelle ou dans le sac à recyclage — vestiges de malbouffe, contenants de boisson et, la quintessence de la paresse, sacs à déjections canines. Quelle ironie de voir qu’une personne s’acharne à creuser loin dans la broussaille afin d’y cacher quelque chose qui prendrait autant ou moins d’effort à éliminer correctement, mais nous reviendrons une autre fois sur l’inconscience générale de l’humanité. Comme c’est à la fois étonnant et intrigant, parlons plutôt de l’article que l’on trouve le plus souvent dans ces divers endroits. 

Même si c’est encourageant de voir qu’il s’agit d’autre chose que des sempiternels mégots de cigarette ou reliquats de gomme à mâcher, ça fait quand même drôle de signaler que l’objet le plus souvent perdu, égaré, échappé, jeté, généré spontanément, déféqué par les oiseaux ou apparemment tombé du ciel sur Terre en provenance du cosmos est… le modeste élastique à cheveux. 

En effet, ces élastiques circulaires ubiquitaires s’accumulent dans tous les recoins de notre vie, s’enfoncent sous nos chaussures dans le gravier ou l’asphalte et infiltrent la pédosphère, peu importe où nous jetons le regard – et, plus important encore, ils aboutissent dans des endroits où nous n’avons pas envie de jeter le regard. C’est comme si deux armées invisibles se livraient une guerre d’élastiques à cheveux partout autour de nous; la guerre est finie, mais les munitions consommées sont encore là.

Bien que le fin mot de l’histoire d’une telle prodigalité demeure nébuleux, quelques indices suggèrent comment les élastiques à cheveux échappent à tout contrôle : ils sont petits, éminemment jetables, offerts dans des couleurs principalement naturelles et se brisent tout le temps – même s’ils se composent de produits synthétiques qui ne disparaîtront jamais. Parmi la liste partielle de ces composés moléculaires, dont de nombreux plastiques, notons : tétrafluoroéthylène, acide perfluorobutyrique, fluoronitrosométhane, fluorure d’hexafluoropropylène et de vinylidène (mon mot imprononçable favori), ainsi que diverses combinaisons chlorées de polyéthylène, de polybutylène, de polybutadiène, d’éther, d’éthylène, de propylène, de diène, de néoprène, d’isoprène et autres. Tout ce que vous devez savoir sur ces composés au nom barbare c’est qu’il résisteront à l’épreuve du temps pendant des siècles durant et qu’à cause d’eux les élastiques à cheveux sont de facto des pollutants mesurables.

Bien que ni leur taille, ni leur piètre qualité, ni leur camouflage, ni leur disponibilité ne peuvent expliquer leur multiplicité, je vous offre ceci : observez quelqu’un qui porte un élastique à cheveux et notez la régularité avec laquelle celui-ci est mis et enlevé, encore et encore… — comme si d’en posséder un exige de défier les probabilités fixées par l’Univers de le perdre. 

Mon propre chez-moi ne fait pas exception. Quand ma conjointe rentre à la maison, la première chose qu’elle fait — avant d’égarer clefs, téléphone ou lunettes de soleil — est de déposer un élastique à cheveux sur le comptoir de la cuisine. Chaque jour, j’en trouve un que je mets dans l’un des nombreux panier placés çà et là dans la maison à cette fin. Toutefois, ces paniers sont toujours vides, leur contenu s’étant évaporé dans l’éther. Quand je trouve des élastiques à cheveux dans l’auto, je les mets sur le levier de vitesse où je me dis que ça servira certainement à quelqu’un. Ceux-là aussi disparaissent. Peut-être que le pouvoir miraculeux qu’ont les élastiques à cheveux de diffuser dans l’atmosphère explique aussi pourquoi ils semblent apparaître de nulle part. 

Néanmoins… malgré leur omniprésence sur terre, dans l’eau et même dans les airs, il faut constamment en acheter, un phénomène inexplicable qu’a exploré thebeaverton.com dans un article digne de mention : « Quantum scientists discover that the more hair elastics you buy, the fewer you have access to. » (Des spécialistes de la physique quantique découvrent que plus on a d’élastiques à cheveux, moins on arrive à mettre la main dessus.)

J’ai noté récemment que la mention« risque de suffocation » était imprimée sur les paquets d’élastiques à cheveux. Pour tout autre produit, cela nous ferait réfléchir quant au mode d’élimination, mais les élastiques à cheveux échappent magiquement à cette analyse. C’est peut-être parce même si on les garde dans un endroit évident — comme autour du poignet – ils posent aussi un danger. « Le frottement chronique d’un élastique à cheveux sur le poignet peut entraîner une coupure ou une abrasion », dit un blogue sur la santé (pour de vrai). « Si la coupure est profonde, elle peut permettre… à des pathogènes éventuellement dangereux, comme le SARM ou l’E. coli, de pénétrer jusqu’aux couches les plus profondes de la peau et causer des problèmes. » 

Laissez-moi dire, pff. D’autant plus que de nombreux écrits sur le sujet (encore une fois, je ne blague pas) nous encouragent tous à adopter une première ligne de défense géniale contre le fléau des élastiques à cheveux : commencez donc par ne pas les perdre. Comme nous savons qu’il s’agit là d’une impossibilité, peut-être vaudrait-il mieux miser sur des élastiques à cheveux aux comportement plus docile et aux caractéristiques écologiques plus durables. Et, devinez quoi? Malgré mon ton badin, vous serez encouragé d’apprendre qu’il existe bel et bien des solutions de rechange aux élastiques à cheveux qui sont zéro déchet, équitables et exemptes de plastiqe! 

Qui l’eut cru?