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Pourquoi devons-nous complètement repenser les déchets de plastique

Myra Hird. Photo prise par Bernard Clark.

Myra Hird ne voit pas les déchets de plastique simplement comme un problème que les scientifiques et les ingénieurs doivent résoudre. Dans cet entretien exclusif, la professeure de sociologie à l’École des études environnementales de l’Université Queen’s à Kingston, en Ontario, parle de la nécessité pour les Canadiens de complètement repenser les déchets de plastique – et elle explique que le recyclage n’est pas une solution parfaite.  

 

À propos de ma participation à la recherche sur les déchets

Je venais tout juste de finir un livre sur les bactéries quand j’ai été contactée par Kerry Rowe, ingénieur civil à l’Université Queen’s et expert mondial de l’ingénierie des sites d’enfouissement. Il m’a demandé si j’aimerais étudier la problématique des déchets d’un point de vue socioscientifique et collaborer avec lui. Au départ, je n’avais pas songé à étudier la problématique des déchets. Mais maintenant que je travaille dans le domaine, c’est un sujet qui a beaucoup d’importance dans mes recherches. Ce que je trouve intéressant c’est que les déchets ne constituent pas un problème technologique. Je vois les déchets comme une espèce de prisme à travers lequel on peut voir de grands enjeux mondiaux. Et l’enjeu principal pour moi est la justice sociale. Je mène des recherches dans les communautés arctiques au Canada où les déchets sont traités de façon bien différente que dans les communautés du Sud. Par exemple, je suis en train de finir un livre qui soutient qu’il est impossible de comprendre la problématique des déchets dans l’Arctique canadien sans comprendre le colonialisme de peuplement. Conséquemment, pour moi, les déchets sont une très bonne façon d’examiner de grandes questions que les gens n’associent pas normalement aux déchets. 

 

À propos des déchets en tant qu’enjeu de justice sociale

Je vous donne un exemple qui illustre pourquoi les déchets constituent un enjeu de justice sociale. Une demande de modification de la Convention de Bâle [un traité international sur l’exportation des déchets dangereux] est actuellement à l’étude et un certain nombre de pays ont déjà donné leur assentiment. Cet amendement prévoit l’interdiction de l’exportation de plastique – et notre gouvernement actuel ne veut pas signer. L’une des raisons invoquées est que le recyclage du plastique offre des possibilités d’emploi dans les pays en développement. Concrètement, cela veut dire que des enfants, des femmes enceintes, des femmes en âge de procréer et des gens très pauvres survivent péniblement en faisant le tri de nos déchets et des déchets d’autres pays – qui seront ensuite retraités à l’aide de produits chimiques. Conséquemment, quand le Canada dit au monde qu’il ne sera pas partie prenante de cette interdiction d’exportation de plastique, le message que nous envoyons c’est que n’avons aucun problème avec le fait d’exporter notre plastique dans des pays dont les pratiques de travail seraient tout à fait illégales au Canada. La première ligne des entreprises de recyclage dans les pays en développement se compose d’enfants et de femmes. Je doute que les Canadiens soient heureux d’apprendre que notre empreinte de déchets mondiale appuie le travail des enfants dans les pays en développement dans des conditions de travail extrêmement dangereuses.

 

À propos du recyclage du plastique

Généralement, au Canada et dans d’autres pays de par le monde, il y a une sorte de prise de conscience chez ceux à qui on a dit, depuis une génération maintenant, que le recyclage c’était quelque chose de vraiment bien. Ce qui est loin d’être le cas. Je crois qu’il est grand temps que les Canadiens aient des discussions éclairées sur ce qu’on fait véritablement avec nos déchets. Des exemples récents révèlent que des déchets canadiens se sont retrouvés dans d’autres pays, comme les Philippines, et cela nous a plongés dans l’embarras à l’échelle internationale. Je crois que cette situation a considérablement choqué bien des Canadiens. Tellement de gens ont communiqué avec moi pour me demander : « Comment se fait-il que nos déchets se soient retrouvés aux Philippines? » Selon moi, il est important de raconter comment de telles situations se sont véritablement produites, car les Canadiens sont alors mieux placés pour comprendre ce qui se passe – non pas ce qu’on nous a raconté sur les événements, ou ce que l’on présume, mais ce qui se passe réellement.

Nous avons appris récemment, et il s’agit d’une statistique très générale, que seulement neuf pour cent du plastique est recyclé au Canada. Je crois que de nombreux Canadiens sont choqués d’apprendre cela, car ils s’affairent à recycler tous ces plastiques en croyant qu’ils seront recyclés, mais ceux-ci aboutissent plutôt dans un site d’enfouissement. Premièrement, les choses sont recyclées uniquement s’il y a un marché pour les accueillir, car le recyclage en tant que gestion des déchets est généralement privatisé au Canada. Les entreprises de recyclage vont recycler seulement si elles peuvent en retirer un profit. Quelque chose qui est recyclé en janvier pourrait se retrouver dans un site d’enfouissement en décembre. Deuxièmement, le produit recyclé est habituellement un produit dégradé, car le processus de recyclage lui-même dégrade le matériau, ce qui veut dire que ce matériau n’aura qu’un seul autre usage avant d’aboutir dans un site d’enfouissement — le recyclage ne réussit pas à maintenir indéfiniment ces matériaux en circulation. Troisièmement, le recyclage produit des déchets. Le processus de recyclage requiert habituellement des produits chimiques qui créent souvent des formes plus toxiques de déchets. Et il faut envoyer ces déchets dans des sites d’enfouissement pour déchets dangereux. Conséquemment, le recyclage lui-même est mauvais pour l’environnement, car il produit plus de déchets.

De plus, des données corrélationnelles démontrent que quand les gens voient qu’il y a un programme de recyclage, ils augmentent leur consommation – car ils croient que l’emballage, ou peu importe ce qu’ils consomment, sera recyclé. Et l’augmentation de la consommation est le problème.

 

À propos de la résolution de la problématique des déchets

Voilà le problème actuel et il y a aussi tout ce que nous avons hérité du passé – tout le plastique, toutes les choses que nous avons déjà consommées. Car même si nous réussissions comme par magie à arrêter de produire des déchets aujourd’hui, nous aurions encore sur les bras des millions de tonnes de déchets dont il faudrait s’occuper. J’aime parler des déchets comme d’un enjeu en aval et d’un enjeu en amont. Si nous examinons des solutions en aval – comme la technologie et aider les gens à mieux recycler —, nous ne pourrons pas résoudre la problématique des déchets. Nous devons plutôt chercher des solutions en amont, comme de demander au gouvernement d’accroître considérablement l’imputabilité de l’industrie relativement à la production de biens et à la production de déchets. Ou d’amener les gens à réfléchir à la réduction de la consommation ou à la réutilisation. La réutilisation se distingue du recyclage – le recyclage requiert un retraitement, car il s’agit de prendre quelque chose et d’en faire un produit différent. La réutilisation veut dire qu’on garde [le produit d’origine] en circulation plus longtemps – nous ne consommons pas cette chose une autre fois, nous n’allons pas au magasin pour acheter quelque chose de neuf. Nous devons changer notre façon de voir les choses. Les citoyens ordinaires sont parfaitement capables de consommer moins et d’accroître considérablement les pratiques de réutilisation. Les cultures, les sociétés, les pays et les gens sont certainement capables de changer, mais les gouvernements doivent travailler beaucoup plus spécifiquement à des changements en amont avec l’industrie.  

 

À propos de la façon dont les Canadiens peuvent changer les choses

Il est intéressant de constater que le recyclage est devenu en quelque sorte la façon pour les Canadiens d’exprimer leur engagement envers l’environnement. Bien plus que par le transport aérien ou par l’achat d’un véhicule électrique, les gens expriment leur engagement envers l’environnement par le recyclage. Toutes les études démontrent que les gens s’autoanalysent et comparent leur mode de recyclage avec celui des membres de leur famille et de leurs voisins, ils s’investissent sur le plan émotif. C’est une façon pour eux d’avoir l’impression de participer à quelque chose de positif pour l’environnement. Toutefois, les efforts sont dirigés dans la mauvaise direction. Si les Canadiens comprenaient à quel point le recyclage n’est pas la voie à suivre, ils seraient bien fâchés de s’être fait raconter toutes ces choses. Et je crois que les Canadiens devraient demander qu’on leur raconte une version plus complète de l’histoire. Ils devraient ensuite exiger que les politiciens agissent en conséquence. Je dis toujours à mes étudiants : vous savez, le diable est dans les détails. Alors, quand le gouvernement ou l’industrie affirme quelque chose, vous devez poser des questions sur les détails de cette affirmation. Je crois que les Canadiens méritent plus de renseignements honnêtes. Et je crois que les Canadiens sont tout à fait capables de poser les bonnes questions.